Naviguer les changements de la Loi 96 en matière de propriété intellectuelle : Guide pour les Entreprises Québécoises

Par Frédérique Beauchemin-Dubrule

 

La sauvegarde de la langue française n’est pas une préoccupation récente au Québec. Plus de quatre décennies après l’adoption de l’emblématique loi 101, le gouvernement a franchi une étape significative en matière de protection linguistique avec l’adoption de la loi 96. Déposé le 13 mai 2021, ce projet de loi a suscité un vif débat et a soulevé diverses préoccupations, notamment au sein de la communauté des affaires, quant à l’ampleur de ses implications.

À l’époque du dépôt du projet de loi, de nombreuses incertitudes persistaient, notamment sur la date d’entrée en vigueur et sur la nature exacte des changements majeurs à prévoir.

Depuis, la loi 96 a reçu la sanction royal le 1er juin 2022 et les détails des mesures se précisent. Nous présentons ci-dessous un survol les changements concernant la gestion et les opérations des entreprises selon leur date d’entrée en vigueur[1].

SURVOL DE CERTAINS CHANGEMENTS POUR LES ENTREPRISES

1er juin 2022 :

·     Documents d’emploi (contrats de travail et les manuels de l’employé) => Les documents d’emploi doivent être rédigés en français.

·     Offres d’emploi => Les offres d’emploi diffusées dans une langue autre que le français devront être accompagnées d’une version française.

·     Inscriptions sur les emballages (instructions, garanties, etc.) et l’étiquetage => Toute inscription sur un produit doit être disponible en français.

·     Pénalités pour non-conformité => Les amendes aux entreprises ont été renforcées, variant désormais de 3 000 $ à 30 000 $. En outre, d’autres sanctions sont prévues par la loi. L’Office québécois de la langue française (OQLF) dispose désormais d’un plus grand pouvoir d’action.

1er juin 2023 :

·     Les contrats entre des entreprises => Les contrats d’adhésion doivent être rédigés en français, sauf exceptions, sous peine de nullité.

o  L’adhérent peut toutefois demander une version dans une autre langue après avoir reçu le contrat en français.

·     Les contrats avec le gouvernement québécois => Tous les contrats avec le gouvernement québécois doivent être rédigés en français, sous peine de nullité. Les clauses-types, habituellement utilisées dans les contrats, stipulant que les parties acceptent de contracter en anglais ne seront plus suffisantes.

1er juin 2025 :

·     Les marques de commerce => Une marque de commerce dans une langue autre que le français devra être enregistrée pour être utilisée sur un produit, dans l’affichage public ou dans une publicité commerciale sans traduction française. (Nous abordons les changements concernant la propriété intellectuelle plus bas)

·     Francisation => Les entreprises de plus de 25 employés devront se conformer à la loi sur la Francisation ce qui implique que les communications, tant internes qu’externes, doivent être en français.

Le but de la loi 96 est clair. Le gouvernement veut renforcer l’utilisation du français au Québec. Les mesures adoptées ciblant spécifiquement le milieu des affaires visent à favoriser l’usage du français dans les des activités commerciales menées sur le territoire québécois. En fin de compte, le gouvernement cherche à garantir que les consommateurs soient servis en français et que les travailleurs puissent exercer leurs fonctions dans cette langue. La volonté de voir les compagnies étrangères établir leurs activités au Québec, mais en français est aussi mise de l’avant.

Comme mentionné précédemment, certaines mesures destinées aux entreprises encadreront leurs activités quotidiennes ou leur gestion interne. En outre, un ensemble de modifications significatives dans le domaine de la propriété intellectuelle affectera également directement les activités commerciales menées dans la province.

CHANGEMENTS CONCERNANT LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Avant l’adoption de la loi 96, les marques de commerce régies par la loi fédérale, la Loi sur les marques de commerce (LMC), échappaient pratiquement entièrement à l’application de la Charte de la langue française. Seule la publicité commerciale et l’affichage public étaient soumis à l’obligation d’accompagner une marque dans une langue autre que le français d’au moins un descriptif en français.

Par exemple, l’entreprise « SecondCup » avait été contrainte d’ajouter l’expression « Les cafés » aux devantures de leurs succursales. En revanche, des entreprises telles que Hellofresh, Uber Eats et d’autres pouvaient mener leurs activités commerciales sous des marques de commerce non francophones sans être soumises à des contraintes similaires.

La loi 96 resserre les règles à cet égard. À partir du 1er juin 2025, il sera désormais interdit d’utiliser seule une marque de commerce dans une autre langue que le français, à moins qu’elle ne soit enregistrée et qu’aucune version française équivalente n’existe au registre des marques[2].

Lorsque cette exigence a été annoncée, plusieurs acteurs du milieu ont exprimé des inquiétudes en lien avec les longs délais d’attente à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC »). En effet, le processus d’enregistrement d’une marque de commerce est estimé à environ 3 ans[3].

Les préoccupations exprimées ont été prises en compte, et le gouvernement a finalement accordé une certaine flexibilité aux entreprises. Après le 1er juin 2025, les produits et emballages arborant une marque de commerce non conforme pourront être utilisés par l’entreprise, à condition que ladite marque soit en cours d’enregistrement[4].

Cette flexibilité est toutefois limitée, car l’affichage public et la publicité commerciale ne bénéficieront pas des mêmes concessions. Une marque de commerce dans une langue autre que le français devra être dûment enregistrée pour être utilisée à ces fins après le 1er juin 2025[5]. Par exemple, une marque de commerce en anglais en cours d’enregistrement ne pourra être utilisée après cette date ni dans une publicité ni sur des enseignes de succursales physiques. En revanche, elle pourra toujours figurer sur l’emballage d’un produit.

Un délai de grâce sera aussi accordé jusqu’au 1er juin 2027 pour écouler les produits aux inscriptions et emballages non conformes fabriqués avant le 1er juin 2025[6].

Pour clarifier les changements législatifs et les flexibilités accordées, nous vous proposons un récapitulatif des dispositions de la loi 96 en matière de propriété intellectuelle :

Inscriptions sur les produits :

·     Après le 1er juin 2025, pour qu’une marque de commerce dans une langue autre que le français puisse être apposée sur desproduits, elle devra être enregistrée.

o  Flexibilité accordée : Le statut « en cours d’enregistrement » sera considéré comme suffisant pour pouvoir bénéficier de l’exception et l’utilisation de la marque sur des produits sera autorisée.

o  Si la marque n’est ni enregistrée ni en cours d’enregistrement, une version française prédominante devra accompagnée la version originale.

§ Le critère de la présence suffisante du français est remplacée par le critère de nette prédominance du français, ce qui signifie que la version française doit être deux fois plus grande et dans le même champ de vision que la version dans une autre langue[7].

·     Les termes génériques (décrivant la nature du produit) ou descriptifs (décrivant les caractéristiques d’un produit) d’une marque rédigés dans une autre langue que le français ne pourront prévaloir sur les termes en version française[8].

·     Les instructions d’un produit doivent être disponibles en français.

·     À partir du 1er juin 2027, aucun produit avec des emballages non conformes ne pourra être en circulation.

Affichage public et publicité commerciale :

·     Les marques de commerce utilisées dans l’affichage public ou la publicité commerciale devront également (1) être enregistrées auprès de l’OPIC et (2) aucune version française équivalente ne devra figurer au registre[9].

o  Si les conditions ne sont pas remplies, une traduction française devra être présente de façon prédominante.

o  Rappel, le délai de grâce accordé pour les marques inscrites sur les produits ne s’applique pas ici.

·     Pour un affichage public visible de l’extérieur du local, même si la marque est dûment enregistrée, les termes dans une autre langue devront être accompagnés de termes en français aussi visibles (donc dans le même champ visuel) et de nette prédominance[10].

Documentation commerciale :

·     Selon les changements annoncés à ce jour, le gouvernement n’a pas modifié l’exception accordée aux marques de commerce qui apparaîtront dans la documentation commerciale. Par conséquent, une marque de commerce non enregistrée dans une autre langue que le français pourra toujours figurer dans des publications commerciales sans traduction française.

·     Les brochures, les dépliants, les bons de commandes sont quelques exemples de documents commerciaux, qu’ils soient sous forme papier ou digitale (site web/médias sociaux)[11].

SANCTIONS

Comme vous pouvez le constater, plusieurs changements seront mis en œuvre dans les prochains mois. Il sera important pour les entreprises de prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux nouvelles exigences dans les délais prescrits. Les sanctions prévues sont en effet significatives (un rappel que les amendes aux entreprises varient maintenant, selon l’infraction, de 3 000$ à 30 000$)[12].

En plus des sanctions pénales, des sanctions administratives et civiles sont également prévues [13] :

·     L’OQLF aura le pouvoir de demander au tribunal d’ordonner par injonction le retrait d’affichages et de publicités en violation de la loi, au frais de l’entreprise prise en défaut.

·     Des ordonnances de retrait de produits fautifs pourront aussi être émises.

 

ACTIONS À PRENDRE

Nous encourageons donc les entreprises à se préparer dès maintenant à ces changements législatifs en matière de propriété intellectuelle en suivant ces étapes :

1.    Faire l’inventaire de vos marques utilisées dans une autre langue que le français et celles qui pourraient potentiellement être utilisées dans vos projets futurs;

2.    Vérifier si les marques peuvent être enregistrées;

3.    Amorcer le processus d’enregistrement pour assurer le respect des délais (la date à retenir est le 1er juin 2025);

4.    Réviser les étiquettes, emballages, instructions sur les produits et les affichages extérieurs pour s’assurer de leur conformité.

Cet article se veut informatif et ne constitue pas un avis juridique. L’équipe de Propulsio 360 est là pour vous accompagner et vous conseiller dans ce processus. N’hésitez pas à nous contacter par téléphone au 514-558-1201 ou par courriel à info@propulsio360.com. À noter qu’il n’est pas exclu que d’autres changements soient annoncés ultérieurement, nous vous garderons informés.

 

Sources:

[1] Mildred CANDELARIO, « La loi 96 Québec expliquée : Comment cela affecte votre entreprise », Preply Business, 13 novembre 2023, en ligne : https://preply.com/fr/blog/b2b-projet-de-loi-96-quebec-explique/

[2] Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, projet de loi no 96 (sanction – 1er juin 2022), 2e sess., 42e légis. (Qc.) c. 14, art. 43.

[3] Adam ANSARI, « Enregistrement d’une marque de commerce au Canada : L’essentiel en une page », Cain Lamarre, 1 mai 2023, en ligne : https://cainlamarre.ca/publications/enregistrement-marque-de-commerce-canada-quoi-savoir/#:~:text=En%20date%20des%20pr%C3%A9sentes%2C%20le,d%C3%A9p%C3%B4t%20de%20la%20demande%20concern%C3%A9e.

[4] Projet de Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 9.

[5] Id.

[6] Projet de Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 10.

[7] Projet de Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 9.

[8] Id.

[9] Id.

[10] Id.

[11] Id.

[12] Clara CHOW, « Charte de la langue française : changements relatifs aux marques de commerce au Québec », BLG, 19 juillet 2022, en ligne : https://www.blg.com/fr/insights/2022/07/charter-of-the-french-language-changes-affecting-trademarks-in-quebec

[13] Id.

 

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